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Emmanuelle Hascöet, membre du jury de l’appel à candidatures de l’exposition “Les Territoires de l’eau”

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(c) Franck Betermin

Le Festival de photographie de Paranapiacaba (FF Paranapiacaba) est une plateforme d’alphabétisation visuelle prônant la préservation des équilibres naturels, les droits de l’homme et l’accès à l’éducation, Il aborde des questions pertinentes sur la durabilité, la mémoire et le patrimoine. Emmanuelle Hascöet, membre du jury a acceptée de répondre à nos questions dans le cadre de l’exposition “Les Territories de l’eau” chez Initial LABO

Cette quatrième édition du Festival est consacrée à l’eau, élément essentiel à la survie de tous les organismes.

Initial LABO et IANDE s’unissent à cette occasion pour vous faire découvrir le Festival de Paranapiacaba et permettre à des photographes brésiliens d’exposer leur travail en France.

IANDE est une plateforme culturelle interna4onale ciblé sur la France, en vue de communiquer sur la photographie brésilienne. Iandé, qui signifie Nous est un trait d’union entre le Brésil et la France, pour les photographes, les commissaires, les galeristes, les collectionneurs, l’enseignement, la recherche et les institutions liées à la photographie.

Initial LABO de par son attachement continue à la photographie brésilienne, que se soit au niveau du Mécénat auprès de la Bibliothèque Nationale de France, de son soutien à l’association SOS Assistances de Fotografia venant en aide aux assistant de photographes touchés par la pandémie ou bien par la riche sélection de livres brésiliens présents dans notre librairie.

Suite à l’appel à candidatures lancé cet été, plus de 500 candidatures ont été reçus. Le jury composée de Denise Carmargo, Héloïse Conesa, Emmanuelle Hascoët, Joao Kulcsár et Glaucia Nogeira ont choisi cinq lauréats qui seront exposés chez Initial LABO du 23 septembre au 10 octobre 2021.

Pour l’occasion nous avons échangé avec Emmanuelle Hascöet, membre du jury afin de mieux connaitre son écriture photographique, les thématiques qu’il travaille et l’impact de la pandémie sur son inspiration. Découvrez cet échange en intégralité suivie d’une présentation de sa série.

Quel est votre premier contact avec la photographie brésilienne ?

“Etrangement c’est via la musique que j’ai découvert la photographie brésilienne. C’est mon ami Remi Kolpakopoul qui n’est plus aujourd’hui qui m’y a sensibilisé. Il travaillait à Radio Nova à l’époque mais fréquentait de grands photographes brésiliens.

Il m’avait montré le travail de Mario Cravo Neto et ce travail puissant m’était resté en tête longtemps. C’est le premier nom qui me vient quant on évoque la photographie brésilienne. Bien entendu je connaissais Salgado mais mon premier coup de cœur c’est Cravo Neto.
Et puis j’ai ensuite travaillé avec Miguel Rio Branco à Magnum Photos qui tient une place toute particulière mais dont le travail me passionne.

Odé. Eternal Now series, 1988. Photo by Mario Cravo Neto. Instituto Mario Cravo Neto Collection/IMS
Odé. Eternal Now series, 1988. Photo by Mario Cravo Neto. Instituto Mario Cravo Neto Collection/IMS

Existe-t-il une photographie brésilienne ? si oui est elle influençée par son territoire, son histoire ?

“Oui, de mon point de vue, il existe une photographie brésilienne toute particulière et la photographie contemporaine le confirme vraiment. Le lien avec l’environnement dans la construction des images m’intéresse beaucoup.

Au Brésil, malgré la destruction de la biodiversité et la crise environnementale aggravée par la folie de la politique ravageuse de Bolsonaro, le réchauffement climatique « vitesse grand V », j’ai la sensation que la nature reste puissante dans l’imaginaire visuel. C’est la vision sans doute idéalisée d’une européenne, mais que la photographie contemporaine brésilienne retranscrit bien selon moi.

Même dans les images des « métropolis » à la modernité technologique outrancière, le végétal parvient à surgir et faire exploser le béton. La forêt semble plus luxuriante, résiliente, combative. C’est un sentiment que j’ai en observant d’autres créations photographiques en Amérique latine. C’est le cas de la Colombie par exemple.

Les photographes ont intégré instinctivement les préoccupations environnementales dans leurs travaux et leurs images rendent bien ce débordement, cette fusion avec le tropical, le sylvestre. Mais bien entendu leur travail vise aujourd’hui à alerter sur la catastrophe en cours. Faire des images manifeste une volonté de dire l’urgence aussi à documenter la destruction de l’environnement. Cela transparaît dans les travaux que nous avons jugés.” 

Avez-vous eu des “coups de coeur” pour des photographes brésiliens récemment ?

© Gilvan Barreto. O Polvo Socialista I

“En ce moment, je regarde les travaux de Gilvan Barreto, Bruno Morais (et sa compagne Cristina de Middel qui n’est pas brésilienne mais vit au Brésil et travaille). J’aime aussi le travail de la photojournaliste Ana Carolina Fernandes.

Par ailleurs, j’ai eu la chance en 2017 d’intervenir, grâce à Joana Mazza et Roberta Tavares, au sein de Imagens do Povo à Rio, un collectif et un Laboratoire qui rassemble de jeunes photographes brésilien.ne. s. Imagens do Povo forme à la photographie, à l’éducation à l’Image au sein des favelas, des communautés. C’est aussi une mine de jeunes talents comme la prometteuse photographe Valda Nogueira dont la carrière s’est arrêtée en plein vol. Mais on peut aller voir ses images sur Instagram.”

Qu’avez-vous pensé de la qualité des photographes qui ont postulés à cet appel à candidatures ?

“C’était très varié au niveau des sujets et des genres, du niveau de pratique de la photographie aussi et donc parfois de la maitrise technique. Cela signifie que le concours a obtenu un grand succès et que la pratique photographique est immense au Brésil. Une richesse et une profusion intéressante s’affichait dans la centaine de portfolio qui nous a été soumise.

Le choix était assez complexe. J’aime le travail de la couleur et j’ai repéré plusieurs bons coloristes dans ces candidat.e.s.

J’ai noté beaucoup de travaux documentaires en noir et blanc dont on note les influences des grands noms de la photographie humaniste. Ces influences sont-elles conscientes ou inconscientes ? C’est difficile à estimer et finalement cela importe peu quand le photographe parvient à les dépasser et trouver un petit quelque chose en plus qui va singulariser son écriture. C’est tout de même assez rare. Je crois que nous étions tous d’accord dans le jury pour nous arrêter sur ces écritures singulières, très symboliques.

On sent la nécessité de la création, le saisissement de l’image comme moyen de résistance dans cette période où un pays comme le Brésil a été particulièrement dévasté par la pandémie de la Covid-19 et fait face à une catastrophe climatique. Cette tension et cette urgence à faire entendre sa voix et donner à voir un Brésil complexe, jeune mais aussi d’une infinie beauté me touche énormément.”

Quelles écritures vous ont particulièrement intéressées dans les séries présentées.

“L’exercice étaient intéressant puisque les lauréats étaient contraints de présenter un triptyque et donc de réaliser un editing très serré. J’ai beaucoup aimé regarder ces propositions qui étaient toutes des petites histoires plus ou moins bien ficelées. C’est évidemment un aspect que j’ai pris en compte dans ma sélection : cette capacité à éditer son travail, choisir et raconter en trois images un petit sujet, une petite fable. Photographier ne s’arrête pas à faire une image ; il faut aussi être en capacité de mettre de l’ordre et faire des choix dans ses récoltes visuelles. Maitriser sa narration et raconter une histoire à travers une ou plusieurs images précisément choisies.

C’est aussi cela l’essence de ce métier. Par exemple, j’ai aimé le projet de ce triptyque rendant compte avec pertinences des conséquences des inondation et des déversements des boues toxiques dans un village du Mina Gerais. Le photographe qui se révèle bon coloriste a choisi de capturer les empreintes de cette catastrophe environnementale sur l’habitat. Son travail est sobre à l’image et très esthétique. Et tout est dit. Tout est là. Il nous apparait comme une métonymie visuelle qui fonctionne bien et nous laisse imaginer l’ampleur et l’horreur des conséquences de cette terribles catastrophe. C’est une vraie écriture photographique.

J’ai par ailleurs été sensible à certaines propositions très plasticiennes vraiment intrigantes et originales qui mêlaient plusieurs techniques, ou reproduisaient des installations faites à partir de photographies. Nous en avons d’ailleurs sélectionné une.”

Nilmar Lage, lauréat de l’appel à candidature

De manière plus générale, qu’avez-vous pensée de la production photographique pendant la pandémie ?

“Les photographes ont compris rapidement qu’il fallait documenter ce qui se passait surtout le premier confinement qui était le plus spectaculaire et donnait lieu à des images inédites à l’extérieur (les métropoles vidées et les espaces naturels en répits), les hôpitaux bondés, les soignants débordées et exsangues. J’ai en tête les images de feu d’Antoine d’Agata qui a parcouru les rues de Paris avec un appareil thermique pour enregistrer, à sa manière, l’épisode viral, ou les multiples portraits de soignants aux visages tellement marqués par le port des masques et la fatigue.

Les photoreporters sont allées sur le terrain immédiatement. Les plus plasticiens étaient peut-être plus démunis. Cette période a été une période contrainte pour nombre d’être eux qui ne pouvaient pas forcement voyager ou se déplacer librement. Et dans la contrainte, on doit faire preuve de créativité. Ils ont donc retourné leurs objectifs sur eux, leurs intérieurs, ont photographié leurs proches. Il fallait trouver des biais. 

Et puis photographier des visages masqués est devenu une gageure, une autre contrainte à intégrer, à incorporer, à interroger.”

Image extraite du livre « Virus » d’Antoine d’Agata• Crédits :  Antoine d’Agata



Comment cette période a affecté ou changé leur approche photographique ?

J’ai échangé avec de nombreux. ses photographes. J’en ai encouragé certain.e. s à produire encore. Je constate qu’ils, qu’elles ont continué à faire leur travail, à chercher des points de vue, à se demander où poser leur appareil car la volonté de continuer à faire des images était là. La recherche du spectaculaire, de l’ailleurs a été effacée par la contrainte de rester enfermé.e. s pour la plupart. Un questionnement très fort et intéressant sur la forme a surgi pour certain.e. s. 

J’ai aussi été invitée par le photographe Marc Lathuillière pour être commissaire et créer, avec lui et le graphiste Nicolas Balaine une exposition virtuelle autour de son travail « Musée national ». Il s’agissait d’une commande de l’Institut français de Bagdad. Cette incroyable et très singulière expérience nous a aussi permis de mener une réflexion et tenter une mise en abyme de ce que pouvait être la création en temps de crise sanitaire, de réfléchir au rapport au tout numérique, à la place de l’image dans tout cela, au rapport au masque. Je n’aurais jamais imaginé faire cela en d’autres temps. 

Quelle dimension particulière apporte le tirage de la photographie ?

“L’exposition passe par la phase de production du tirage. A chaque fois, un tirage est une interprétation d’une photographie originale à plat. Le format, le choix du papier, de la technique, des encres vont être des éléments constitutifs de la fabrication de l’objet « tirage » qui va être offert aux yeux du public. Exposer une image c’est engager un point de vue, faire un choix.

C’est un processus en plusieurs étapes. Il y a le travail du fichier puisque la photographie est bien souvent numérique aujourd’hui, puis le tirage sur matériau. J’ai toujours aimé accompagner les photographes dans cette étape de production. Entrer dans l’atelier du tireur, dans le labo et regarder ensemble les épreuves, les tests. Il faut savoir rester très discrète car c’est une étape subtile, qui se passe surtout entre eux deux. Mais c’est tellement passionnant. Et puis il faut pouvoir mettre son petit grain de sel quand se pose la question du format car dans une exposition, le choix du format du tirage, peut aussi venir modifier le statut de l’image exposée.

Un grand format isolé de « Errance » de Depardon raconte légèrement autre chose pour moi qu’un accrochage linéaire d’œuvre en formats 50X60 cm de la même série intégrant la même image par exemple. Et puis vient ensuite le choix de l’encadrement, ou du non encadrement. Chacun de ces éléments amène une dimension autre à la photographie.”

Avez-vous observée une relation particulière entre le photographe et son tireur ? 

“Oui absolument. C’est quelque chose que j’ai eu le loisir d’observer pendant mes longues années au sein de l’agence Magnum Photos. C’est un rapport très fort, qui se tisse dans le temps, une confiance totale que l’un met dans les mains de l’autre, un prolongement de sa création première. Si la prise la prise de vue est généralement une action solitaire, le tirage est un travail d’équipe. On pourrait peut-être émettre une comparaison semblable au cinéma entre le réalisateur et son monteur. Cela me fait souvent penser à cela.”

Quels sont vos projets pour 2022 ? 

“Plusieurs projets de commissariat : l’adaptation de l‘exposition « Arctic Blues » présentant sept ans de mission entre artistes et scientifiques océanographes à l’espace des Champs libres à Rennes, un projet autour du mythe de la Ville d’Ys avec le photographe Benjamin Deroche, « Alta pressão » une création entre la photographe Sandra Rocha et le musicien François Joncours dans le cadre de l’année France/ Portugal. Je continue à accompagner Raymond Depardon sur ses projets d’exposition. De l’écriture et puis une mission prochaine avec la Bibliothèque nationale de France. A suivre….”

Emmanuelle Hascöet – Commissaire d’exposition.

Diplômée en Lettres modernes à l’Université de Bretagne Occidentale, en études théâtrales (Cours Florent) et en Coopération artistique internationale à l’université de Paris VIII, elle a d’abord travaillé en tant que chargée de production et de programmation pour plusieurs festivals de cinéma et photographie (La CITA à Biarritz, Festival des 3 Continents à Nantes, Filmar en América Latina à Genève, Images au Centre à Paris). En 2002, elle s’installe en Amérique centrale afin d’y mener un travail de recherche sur l’histoire des réalisations audiovisuelles et photographiques dans l’isthme. Cette étude donnera lieu à une rétrospective au Festival des trois Continents de Nantes l’année suivante.


Elle rejoint Magnum Photos en 2005 en tant que coordinatrice des expositions et responsable de la collec?on. Depuis 2010, elle est responsable d’expositions pour Magnum Photos et commissaire et développe des projets culturels en France, Europe du sud et Amérique latine. Dans la suite logique de ses activités de commissariat, et avec la volonté de défendre de nouveaux ar?stes, la structure Fovearts a naturellement vu le jour en 2015 dans le but d’assurer de nouvelles missions d’accompagnement, de créa?on et de production. Elle anime également des ateliers professionnels et d’éducation à l’image en France et à l’étranger.

Pour suivre Emmanuelle Hascöet :

Raphael Alves, lauréat de l’appel à candidatures

Exposition FF Paranapiacaba chez Initial LABO

LES TERRITOIRES DE L’EAU 

Raphael Alves – Marcio Borsoi – Nilmar Lage –  Mergulha et Voa – Sheila Oliveira – Elza Lima – Julia Pontes – Marinele Ribeiro 

DU 23/09 AU 10/10 

Une célébration de la photographie aux confluents de la préservation des équilibres et des territoires créatifs.

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